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PRISE EN CHARGE DE LA DIALYSE : 3 milliards de Fcfa surfacturés par an

Dans son rapport 2023, l’Ofnac livre les détails de l’affaire de corruption et d’escroquerie débusquée autour de la prise en charge de la dialyse.

Au début du mois de jan‐ vier 2020, le porte‐pa‐ role du mouvement des insuffisants rénaux du Séné‐ gal, Hamidou Diallo avait fait une déclaration reprise par plusieurs sites d’informations, pour dénoncer les conditions de vie des malades insuffisants rénaux. Dans cette déclara‐ tion, il faisait état de la rupture des kits d’hémodialyse et dé‐ nonçait une mauvaise poli‐ tique de gestion et de prise en charge des malades qui pei‐ nent à respecter les séances de dialyse. Selon ses dires, « actuellement au Sénégal, tous les centres de dialyses sont pleins. Il y a sept cent cin‐ quante (750) patients dans le public et deux cent cinquante (250) dans le privé. Ceux qui sont dans le public ne paient pas contrairement à ceux dans le privé, lesquels déboursent soixante‐cinq mille (65 000) Fcfa chaque deux jours ; donc cent quatre‐vingt‐quinze mille (195 000) Fcfa, la semaine, huit cent quarante mille (840 000) Fcfa, le mois. Tous les centres étant pleins, n’importe quel malade qui se présente dans un centre public ou privé ne pourra pas bénéficier de soins, donc il meurt et tous les nou‐ veaux hémodialysés meurent. Il y a quarante mille (40 000) nouveaux cas par an, lesquels ne sont pris en charge ni par le privé ni par le public. Il y a un million (1 000 000) de Sénéga‐ lais qui sont insuffisants ré‐ naux sans le savoir ». Poursuivant, il révélait que « la Pharmacie nationale d’appro‐ visionnement (Pna) est en rup‐ ture de stock pour les kits de dialyse. Les hôpitaux comme Le Dantec ont suspendu les dialyses et certains établisse‐ ments sanitaires ont espacé même les dialyses parce qu’ils n’ont pas assez de kits ». Il sou‐ tenait que «des personnes «ta‐ pies dans l’ombre» détournent une grande partie des kits achetés par le programme de la Couverture maladie univer‐ selle (Cmu) qui est revendue en Gambie».

Etablissant une relation de cause à effet, monsieur Diallo soulignait que «la Pna est en faillite parce que l’Agence de la couverture maladie universelle (Acmu) est en faillite, les centres de dialyses sont en faillite. Si nous les malades nous res‐ tons une semaine sans faire de dialyse, nos pieds enflent, nos yeux enflent, nous commen‐ çons à tousser, et notre cœur explose. Si nous faisons une dialyse chaque deux semaines ou deux dialyses chaque six mois, nous mourons. Nous dé‐ pendons du kit de dialyse ». Il déclarait que, par sa voix, la‐ dite association dénonce également une « surfacturation » des kits de dialyse que l’Acmu achèterait à quarante mille (40 000) Fcfa l’unité au lieu de huit (8 000) Fcfa, «soit un montant de quatre milliards (4 000 000 000) de Fcfa par an dû à une surfacturation».

En raison de ces difficultés un grand nombre de malades ne parvient pas à suivre correctement le traitement et les trois séances normales de dialyse par se‐ maine. Considérant que les faits présumés étaient suffisamment graves pour justifier son auto‐saisine, l’Ofnac a Auto‐saisine de l’Ofnac
Dans le cadre des investigtions, plusieurs diligences ont été menées par les enquê‐ teurs. Il s’agit, notamment de l’audition du plaignant, de l’audition de responsables du ministère de la Santé et du secteur privé et d’une analyse documentaire approfondie. Au cours de son audition, le plaignant, confirmant sa dénonciation faite par voie de presse, a déclaré que le Président de la République, monsieur Macky Sall, lors de son
message de fin d’année 2019, a annoncé avoir dépensé six milliards huit cent millions (6 800 000 000) Fcfa pour la dia‐ lyse. Se basant sur cette annonce, il dit avoir effectué des recherches sur un moteur de recherche afin de comparer les prix des kits de dialyse.

Le cas de la Côte d’Ivoire l’a particulièrement intéressé car le kit qui y est actuellement vendu à dix‐neuf mille six cent cinéchangé avant la crise post‐électorale à six mille (6 000) Fcfa et à seize mille (16 000) après la crise. Il a également souligné que le prix du kit, à l’international, varie entre cinq mille vingt‐neuf (5 029) et dix mille trois cent soixante‐ dix‐huit (10 378) Fcfa. En conséquence, le résultat de ses recherches l’a poussé à conclure qu’il y avait de la surfacturation sur les kits de dialyse. Il souligne qu’après le message du Pré‐ sident de la République, la directrice de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) avait indiqué à travers la presse que l’Etat devait 17 milliards de Fcfa aux fournisseurs étrangers qui livrent 90% des médicaments. Elle ajoutait que la Pna achète
le kit à quarante mille (40 000) Fcfa et précisait que le prix d’acquisition va‐ riait entre vingt‐six mille trois cent
quinze (26 315) Fcfa minimum et trente‐huit mille huit cent (38 800) Fcfa maximum hors taxe. Aussi, mon‐ sieur Diallo souligne‐t‐il que dès le 18 septembre 2019, la directrice avait annoncé une rupture de kits de dialyse
qui serait liée à cette dette. Dans son argumentaire, le dénonciateur évoque la gratuité de la dialyse dans les établissements publics de santé, mesure entrée en vigueur en 2012 sous le magistère de l’actuel Président de la République. Il rappelle que la subvention annuelle pour la dialyse était de neuf cent dix millions (910 000 000) Fcfa en 2012 et qu’elle est passée à deux milliards sept cent quarante‐cinq millions six cent mille (2 745 600 000) Fcfa en 2013. Il ajoute qu’en 2019, la Pna, selon les déclarations de sa directrice, a acheté cent cinq mille quatre cent trente‐huit (105 438) kits pour un montant de quatre milliards trois cent soixante‐cinq millions sept cent cinq mille trois cent (4 365 705 300) Fcfa ;

ce qui correspond au prix unitaire de quarante un mille quatre cent cinq (41 405) Fcfa. Ainsi, sur la base de cette subvention, l’Etat four‐ nit le kit à tous les centres de dialyse, publics comme privés. En contrepartie, le privé doit facturer la séance de dialyse à vingt mille (20 000) Fcfa. Il re‐ lève que la fraude se situe en premier à ce niveau car les structures privées déclarent aux patients qu’elles n’ont pas reçu de kits de la part de l’Etat, de manière à pouvoir facturer le kit à soixante‐cinq mille (65 000) Fcfa pour une seule séance. En conséquence, le secteur privé ne respecterait pas les termes de la convention signée avec l’Etat sur la prise en charge.

Poursui‐vant, monsieur Diallo soutient que c’est dans le privé que ce trafic est le plus répandu. En guise d’exemple, il signale que la clinique des Madeleines facture la séance à deux cent cinquante mille (250 000) Fcfa, Abc à quatre‐vingt‐dix mille (90 000), Icp à soixante‐cinq mille (65 000) et le Centre d’hémodialyse de Dakar (Cdd) à soixante‐cinq mille (65 000) Fcfa.

Il ajoute que, malgré la gratuité dans le public, il arrive que l’héparine, une des composantes du kit, soit vendue à sept mille cinq cents (7 500) Fcfa au patient par certains agents indélicats des centres, sous prétexte que le kit est incomplet. La dialyse y est surfacturée le week‐end à cent vingt mille (120 000) Fcfa. Les agents se livrent ainsi à un chantage auprès des malades en prétendant qu’il manque un élément du kit, une manière de gagner de l’argent. De surcroît, il déclare que les kits non utilisés (soit, parce que le malade, faute de moyens ne peut faire trois (03) séances par semaine, soit parce que les bénéficiaires sont décédés) sont revendus par ces centres qui s’abstiennent de déclarer les décès.

Donnant des détails sur le cathéter fémoral et sur le cathéter tunnélisé, il dit que le premier cathéter fémoral est offert et le second qui est de rechange est vendu à vingt mille (20 000) Fcfa à l’hôpital Aristide le Dantec. Pour le cathéter tunnélisé, il est vendu à cent vingt‐cinq mille (125 000) Fcfa avec des frais de pose de cinquante mille (50 000) Fcfa. En cas de rupture de stock, le patient, depuis l’hôpital Aristide le Dantec, est orienté auprès d’une personne basée à la Patte d’Oie qui assure la vente du cathéter tunnélisé à cent vingt‐cinq mille (125 000) Fcfa. Il rapporte l’avis de la Direction de la maladie qui indique que sur les mille (1 000) malades insuffisants rénaux identifiés au Sénégal, les deux cent cinquante (250) se font suivre dans le privé et les sept cent cinquante (750) dans les structures médicales publiques.

Sur la base de ces données, il retient que pour une prise en charge normale, chaque patient a besoin de trois (03) kits par semaine, soit un total de douze (12) par mois et de cent quarante‐quatre (144) pour l’année. Il affirme que la Pna approvisionne par trimestre les centres, les‐ quels, ne déclarant pas les cas de décès, revendent le stock restant dans des pays étrangers tels que la Gambie. Il accuse particulièrement le centre Icp d’être auteur de ce genre de pratiques. Il informe que ce centre est mis en place en 2004 par un ressortissant italien, lequel une fois à la retraite, est retourné dans son pays et en a confié la gestion à son ancien jardinier et une ancienne femme de ménage, lesquels sont devenus respectivement Un centre dirigé par un ancien jardinier et une femme de ménage

Incriminant toujours ledit centre, il argue que pour défaut de prise en charge à cause d’insuffisance de ressources financières, deux malades hospitalisés y sont décédés. Renseignant sur les fournisseurs de kits de dialyse, il identifie «Carrefour médical » et « Fresenieus médical ». Il informe qu’en 2011, Carrefour médical a gagné le marché de deux milliards huit cent huit millions (2 808 000 000) de Fcfa pour soixante‐douze mille (72 000) kits de dialyse et qu’en faisant le calcul, le kit revenait à trente‐neuf mille (39 000) Fcfa. Il signale que cette société reçoit du Comptoir Commercial Bara Mboup (Ccbm) les générateurs de dialyse de la marque « Nipro ». A travers cette relation, il trouve qu’il y a un délit d’initié vu que le directeur général de Ccbm, qui pouvait bel et bien fournir directement le kit à l’Etat après l’avoir acquis à huit mille (8 000) Fcfa, a préféré le vendre à trente mille (30 000) Fcfa à son frère, lui‐même directeur de Carrefour médical, qui, en traitant avec l’Etat, majore le prix jusqu’à quarante mille (40 000) Fcfa.

Des chefs de service et des directeurs d’hôpitaux courtiers des deux fournisseurs

A propos de l’Association des hémodialysés et insuffisants rénaux du Sénégal (Ashir), il soutient qu’elle est membre de la commission de désignation d’achat d’équipements. Il considère qu’elle est un groupement de personnes bien portantes qui fait preuve de complicité avec son coor‐donnateur dans les processus d’acqui‐ sition de générateurs et de kits de dia‐ lyse. Il révèle que des professeurs ayant occupé les fonctions de chef du service de néphrologie à l’hôpital Aristide Le Dantec et à l’hôpital Dalal Jamm, en sus de leur qualité de né‐ phrologues, jouent le rôle de courtiers respectivement pour les sociétés «Nipro », une marque chinoise, et «Fresenieus», une marque allemande. Il fait remarquer que si l’une des marques est choisie, tous les généra‐ teurs et les kits seront de la même marque, et le courtier en tire profit.

Il explique qu’après l’expression des be‐ soins par les centres de dialyse auprès du ministère de la Santé, la commis‐ sion de désignation choisit le généra‐ teur et le nombre de produits à commander. La Pna lance le marché et la société attributaire est payée par l’Agence de la couverture maladie uni‐ verselle (Acmu). Il note qu’il y a vingt‐ cinq (25) centres publics de dialyse et quatre (04) centres privés au Sénégal, chacun doté d’un néphrologue et d’un personnel pour la prise en charge des malades. A la suite de monsieur Diallo, décédé en cours d’enquête, le 29 juillet 2020, plusieurs responsables ont été auditionnés dans le cadre des investigations. Il s’agit, notamment de la directrice de la Pharmacie nationale d’approvisionement (Pna) ; du directeur général de l’Agence de la couverture maladie universelle (Acmu) ; de l’administrateur délégué de l’Institut clinique de perfectionnement (Icp) ; du Directeur administratif et financier (Daf) de la clinique de la Madeleine ; de l’ancien chef du Service néphrologie de l’hôpital Aristide le Dantec (1992 à 2019) ;

d’un technicien supérieur en anesthésie à la retraite devenu directeur gé‐néral de la clinique Abc Hémodialyse et de la société Diminter ; du chef du Service néphrologie de l’hôpital Aristide le Dantec depuis 2019 et par ail‐ leurs président du Conseil national de don et de la transplantation (Cndt) ; du professeur néphrologue, référant en néphrologie de l’hôpital Principal de Dakar depuis 2004 et chef du Service de néphrologie de l’hôpital Dalal Jam en 2016 ; du président de l’Association sénégalaise des hémodialysés et insuffisants rénaux (Ashir) depuis 2015 ; de l’administrateur de la société Carrefour médical ; de l’Inspecteur des affaires administratives et finan‐ cière (Iaaf) du ministère de la Santé et de l’Action sociale ; de la secrétaire ‐ caissière de l’Icp de février 2013 à janvier 2021 ; d’un professeur, directeur du Centre national d’un professeur, directeur du Centre national de transfusion sanguine.

En outre, dans le cadre de l’approfondissement des investigations, conformément à la première décision de
l’Assemblée des membres concernant cette affaire, le Directeur général de la Santé publique a été entendu.
Au terme des investigations menées, l’Ofnac a retenu les faits de corruption passive et d’escroquerie à l’encontre de l’assistante‐secrétaire de Icp mais aussi d’escroquerie portant sur les deniers publics à l’encontre de l’administrateur d’Icp. Les enquêteurs ont également visé X en vue de l’approfondissement des investigations sur toute autre personne susceptible d’être impliquée dans l’affaire. L’assemblée des membres de l’Ofnac a décidé à l’unanimité, la transmission du rapport d’enquête, au Procureur de la République de Dakar.

CMG

 

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